Joseph, tisserand vendéen


 

L'aurais je connu que ce ne changerait guère

L'aurais-je côtoyé que serait du même bois

Tant la description que j'en ai lue est si claire

Joseph le tisserand vendéen est en moi.


On aurait cru, le voyant, avec telle stature

Que l'homme en forêt ouvrait comme bûcheron

Ou dans les champs usait de sa musculature

Dans les carrières à la pierre, ardant tâcheron


Que nenni ! puisque ce mâle costaud et sans âge

Filait la laine, cardait et le métier maniait

Faisait vibrer, grincer, pour, fidèle à l'ouvrage

Quelque tissu superbe et rustique fabriquer.


Dans l' antre obscure où bien peu de soleil filtrait

Tentant de déchirer la quasi sombritude

Il y régnait une atmosphère superbe et gaie

Que déclenchait le chant de cet artisan rude


De l'aurore au crépuscule et la nuit parfois

Accompagnaient son long et récurant labeur

Des airs anciens entonnés d'une douce voix

Semblant convoyer sérénité et bonheur


Dans cette masure que seul le chant éveillait

Une femme partageait la vie de l'artisan:

Une ombre discrète à sa quenouille ou son rouet

Victoire est son nom et de cet homme, la maman.


Sous l'évident prétexte d'être des mélomanes

Du chanteur vouloir écouter les mélodies

Quelques trois poules profitaient ainsi de la mâne

A picorer sous la table ou autour du puits.


Ourdissant le tissu, rugueuse sparterie

Que certains considéreraient comme chiffon

Confectionné tout comme une tapisserie

Par l'artiste chanteur et noble compagnon.


L'ombre de Victoire s'étiola, elle s'effaca;

Sa place était ténue comme le fut son absence

On naît, on tente de vivre, on meurt ici-bas

Rares sont ceux vraiment choyés par l'existence.


Le "progrès" s'infiltra alors et s'imposa

Il se trouvait au village des toiles moins chères

Moins solides mais que sa clientèle préféra

Ruinant en quelques mois l'artisant légendaire.


Il s'en prit à Dieu qu'il ne connaissait guère

Sinon par l'image pieuse de la Vierge à l'enfant

Qui ornait la pièce principale et qui naguère

Regardait Victoire et les trois poules caquettant.


Il ne vendit plus ses tissus qui s'entassaient

Son regard devint fixe, la pommette saillante

Le teint pâle. Bientôt, de ses lèvres décharnées

Ne s'échappa plus jamais la moindre goualante.


L'instrument continua à travailler, grincer

Les toiles s'accumulaient, les défauts qui plus est

Finies les ritournelles mais des mots insensés

A qui ne connaît pas l'histoire dit "du Progrès "


Enfin l'esprit plus calme, le verbe plus serein

Il retrouva un rythme juste, son geste habile

Tissa tout son reste de vie, jusqu'à la fin

Sur son métier avec...une navette sans fil.


Le jugez-vous fou, malade ou en déraison

Joseph aura gardé du geste la perfection

Tant se vantent de travailler parfaitement

Lui, humblement aura oeuvré superbement.



Ci-git Joseph, Tisserand vendéen, l'une des premières victimes du progrès et de la mécanisation.


                Gérard Dézèmerie

Fable  inspirée d'une nouvelle de Georges Clémenceau “Joseph Huguet” parue en 1920. Recueil “Figures de Vendée”

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