La roulotte


 

Bringuebalante et tirée par un âne atone

Arrive à la douane du village vendéen

Une roulotte dont le triste état étonne

Les lavandières affairées prime témoins


L'animal, assoiffé, exangue et fatigué

Semble avoir, en son for intérieur, décidé

Que ses maigres pattes et sabots écorchés

N'iraient point au delà de ce pont ruiné.


Les femmes au trempage et nettoyage

D'abord intriguées , tendues, s'étaient tues.

Le véhicule branlant et son attelage

Semblant n'être mené que par baudet têtu


Aucun humain n'apparaît dans l'équipage.

Ni sur la planche dévoyée au cocher

Ni sous la sombre bâche abîmée par l'âge

Où semblent s'entasser bien peu d'objets


Remontant le raidillon, brouette poussant

Soufflant à chaque pas, une des vivandières

Osa dans le véhicule stationné en passant

Jeter un oeil curieux et inquisiteur à l'arrière


Elle distingua alors tenant encore une bride

D'une main et de l'autre une bouteille vidée

Un corps d'homme visage émacié et livide

D'où la vie semblait avoir à jamais échappé


Ici se terminait, en jugea la maréchaussée

L'existence d'un gitan, d'un voleur de poulets

Dont deux cachés sous la cariolle déglinguée

Avec autres bouteilles et larcins présumés


Il ne vint à l'idée d'aucun des habitants alertés

Que le bougre eut pu poules et vin acheter

Avec sa maigre solde pour travail rémunéré

Un gitan voleur étant d'une évidente vérité


Au garde champêtre on confia le baudet

Gagnant ainsi de l'aide sans devoir débourser

Au nom de la loi aisément réquisitionné

L'autorité échoit à qui sait l'imposer


Les bouteilles restantes au café furent vidées

Par les braves gendarmes, logique rétribution;

Pour avoir intelligemment démêlé

Cette affaire de bohèmien mort en libations


En moins d'une semaine la charrette perdit

Et ses roues , son plancher et ses brancards

Les habitants ne voyant point aucun délit

A récupérer promptement ce don du hasard


Le village eut tôt fait de retrouver sa tranquillité

Et les gaies vivandieres leur planche à laver

À genoux près de la rivière prompte à deviser

Ce furent elles les premières qui la virent arriver.


Elle s'arrêta en même lieu menton en avant

Torse bombé et fier, posture de revanche

Dans ses longues jupes se cachait l'enfant

Petite forme triste blottie contre sa hanche


Elle réclamait ses biens, il pleurait son père

Les autorités villageoises intervinrent alors

Et la conduisirent de ce pas jusqu'au cimetière

Sous la terre encore fraîche reposait le corps


On ne savait pas pour la cariolle, ni pour l'âne

Des guenilles? des planches? personne n'a vu ...

Reprenez la route femme de rien, sale gitane

Ce village respectable ne vous supporte plus


Où allez-vous, montrez votre laisser passer

Vous devez maintenant payer le fossoyeur

Va-nu pied, chapardeuse de gallinacéees !

Prouvez que l'enfant est le votre sur l'heure.


La "malhonnête" s'enfuit sous moult collibets

Le maire classa l'affaire rondement menée

Les habitants intègres retrouvèrent la sérénité

leur profond amour du prochain et la fraternité



Les lavandières, pendant ce temps, lavent le linge sale, entre elles, à la rivière.

                                                                    Gérard Dézèmerie


Fable de Gg (Jan 20) inspirée d'une nouvelle de Georges Clémenceau “la roulotte” parue en 1920. Receuil “Figures de Vendée”



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